Tribune de la Confédération paysanne en solidarité avec les migrantes et les migrants
Nous, paysannes et paysans de la Confédération paysanne, voulons élever la voix face à la situation terrible que vivent les personnes qui tentent le pire pour trouver refuge en France ou ailleurs.
Nous ne pouvons rester muet·tes quand tant d’enfants, de femmes et d’hommes souffrent et périssent dans les geôles libyennes, soudanaises et de tant de pays, dans le désert ou la Méditerranée.
Nous ne pouvons plus continuer à nous taire face à l’hypocrisie de nos dirigeant·es politiques qui sont capables de laisser un bateau dériver pendant des jours sans tendre la main, qui séparent des familles, enferment des enfants, éventrent des toiles de tente en plein cœur de l’hiver, condamnent l’humanisme et la fraternité en polluant la justice et la loi à grands coups de « délits de solidarité ».
Nous ne pouvons rester muet·tes en tant que syndicat paysan, membre de la Via campesina, car nombreux sont nos sœurs et nos frères, travailleuses et travailleurs de la terre, à devoir fuir quand des financiers ou des Etats leur volent leurs terres, qu’il s’agisse d’assurer leur sécurité alimentaire ou d’assouvir leur mode de consommation. Déjà plus de 30 millions d’hectares de terres nourricières ont été accaparées par des Bolloré et autres fonds spéculatifs.
Nous ne pouvons rester muet·tes parce que le développement de formes industrielles d’agriculture a contribué à dérégler le climat et transformé leurs terres en désert, parce qu’avec d’autres pays riches, dont certains pays du Sud, nous continuons à piller l’eau et les ressources de leurs pays et à armer les conflits, parce que notre gouvernement, aidé par la Commission européenne, multiplie les accords commerciaux qui orchestrent le pillage des ressources naturelles et l’impunité des multinationales.
La libre circulation des capitaux et des marchandises, l’obligation d’ouvrir les frontières à tous les pays signataires des accords de Marrakech de 1994 instituant l’Organisation mondiale du commerce (OMC), ont favorisé l’arrivée massive de surplus agricoles qui ont tué l’activité économique des pays concernés. Les accords de libre-échange ont provoqué un grave recul de l’autonomie alimentaire de l’Afrique. Les lois du commerce sont d’abord responsables de « la fabrique » des migrant·es, dont les conséquences ne font que commencer, et qui, il faut le rappeler, touchent en priorité les pays voisins. Les politiques au pouvoir, qui demandent aux paysannes et aux paysans de nourrir le monde, participent coupablement à la situation actuelle.
Ces sœurs et frères migrants, s’ils ne sont pas renvoyés ou délaissés, combien sont-ils à finir exploités comme des esclaves, transformés en main d’œuvre malléable et corvéable à merci ? Comme certaines et certains, forçats dans nos champs et nos serres, sans toits, sans espoirs et sans droit.
Nous ne voulons pas que la France se résume à ces politiques, primaires et dépassées, de manipulation de la peur et de la méconnaissance. Par contre, nous approuvons la récente décision du Conseil constitutionnel concernant le « principe de fraternité » (1). Oui, la solidarité n’est pas un délit !
Comme tous ces héroïnes et héros ordinaires, de la vallée de la Roya à Calais, qui accueillent, nourrissent, soignent, consolent, accompagnent, espèrent ensemble, nous appelons les paysannes et les paysans de la Confédération paysanne à rejoindre les collectifs de solidarité qui se sont créés dans les nombreuses localités où sont implantés des centres d’accueil et d’orientation des migrants (CAO).
Face à l’accaparement des terres et des richesses, au Nord et encore plus au Sud, par une poignée de dictateurs et de multinationales, face à des politiques et des lois violentes et inhumaines, migrer est un droit, désobéir pour accueillir un devoir !
Tribune parue dans Campagnes Solidaires – Octobre 2018