Quelques 70 personnes étaient présentes pour ce premier rendez-vous de l’année autour d’une projection-débat, organisée par les Amis de la Conf’ 17 au Palais des Congrès à Rochefort : l’agriculture paysanne : solution au réchauffement climatique ?
Après trois courtes vidéos présentant les enjeux, plusieurs intervenants ont démontré l’importance majeure de l’agriculture paysanne dans la lutte contre le réchauffement climatique.
Retour sur cette soirée en présence de Benoit Biteau (Paysan Agronome), Eric Kerneïs (Directeur de l’INRA de Saint Laurent de la Prée), François Gastal (Directeur de recherche à l’INRA et membre d’AcclimaTerra), Jean François Périgné (Trésorier National de la Confédération Paysanne et témoin dans « L’affaire du siècle ») et Sophie Raspail (Responsable de projets Agriculture et biodiversité à la Ligue pour la Protection des Oiseaux).
Pour François Gastal, Directeur de recherche à l’INRA et membre d’AcclimaTerra, il est urgent de trouver des solutions d’adaptation au réchauffement climatique. Il nous livre quelques éléments de compréhension, à partir de l’étude d’AcclimaTerra menée en Nouvelle Aquitaine, cette région étant la première région agricole au niveau national et européen sur le plan économique.
Avec le réchauffement climatique, la production végétale va s’accentuer, mais la présence des bioagresseurs aussi. Les dates de semis seront avancées, les cycles raccourcis et les besoins en eau accrus.
Dans cette perspective, plusieurs leviers d’action peuvent être identifiés :
– la nécessité de sauvegarder les prairies, qui rendent d’importants services écologiques, notamment par leur rôle de stockage de carbone dans le sol
– la culture des légumineuses, fixatrices d’azote
– pour le département de Charente-Maritime, il faudra adapter les productions à l’évolution du climat et à l’augmentation des températures, notamment en allant chercher du matériel génétique méditerranéen, qui pourra s’adapter au climat charentais.
– une bonne isolation des bâtiments est primordiale pour optimiser les ressources énergétiques
– le développement de la méthanisation permettra de diversifier la production d’énergie
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Eric Kerneïs, Directeur d’unité expérimentale à l’INRA, travaille lui sur une ferme expérimentale de Saint Laurent de la Prée, et s’intéresse précisément au développement d’une agroécologie en marais. Les cultures sont dans cette région susceptibles d’être submergées par les crues.
Saint Laurent de la Prée est une station climatique. Alors que la température moyenne était de 12,5 degrés avant les année 90, on constate qu’elle est à présent toujours supérieure, et le niveau de la mer s’est élevé d’environ 20 cm.
La seule option pour nous est de s’adapter, se diversifier : mélanger les variétés, associer des légumineuses et des céréales, et… lorsqu’on en a, préserver les marais, qui gardent l’herbe verte plus longtemps. Compte tenu des sécheresses durant l’été, il est important de ne pas chasser l’humidité pendant l’hiver et de préserver les roseaux.
Les marais ont un rôle important à jouer dans l’adaptation au changement climatique.
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Benoît Biteau, paysan agronome, a ensuite mentionné deux principes fondateurs autour de l’agriculture :
– territorial : l’agriculture occupe 70% de l’espace qui nous environne. Il faut cesser d’utiliser le mot « exploitation » lorsque l’on parle d’une agriculture respectueuse des terres et de la faune. « Nous sommes paysans, et non exploitants. »
– citoyen : l’agriculture est une activité qui perçoit énormément d’argent public ; les paysans ont donc des comptes à rendre aux citoyens. Il y a une dimension de contrat à respecter avec la société.
L’un des grands sujets est bien sûr celui de l’eau : l’agriculture utilise 80% de l’eau douce, mais surtout pour arroser les monocultures de maïs qui nourrit les bovins. Les prairies ont été retournées pour faire du maïs, et ceux qui en produisent perçoivent plus d’aides de la PAC que les autres. Ceci est une fausse bonne idée.
On constate également que les pesticides tuent les insectes. Par conséquent, les oiseaux n’ont plus suffisamment à manger et disparaissent peu à peu (voir à ce sujet l’émission de France culture). La biodiversité est fondamentale, elle est l’alliée des agriculteurs.
La lutte pour les semences est aussi primordiale : les semences hybrides rendent les paysans complètement dépendants, à la fois à l’achat de graines chaque année, mais aussi à celui des pesticides, leurs semences étant conditionnées pour un certain type d’agriculture. Il ne faut plus acheter de graines aux semenciers, mais travailler avec les écotypes, avec les variétés adaptées au milieu où nous produisons. Nous devons sortir de la logique de subvention et passer à celle de rémunération.
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Jean-François Périgné, trésorier national de la Confédération paysanne, intervient ce soir comme témoin dans l’Affaire du siècle, une action en justice climatique menée envers l’Etat, pour manquement à ses engagements climatiques pour protéger nos vies, nos territoires et nos droits.
Jean-François Périgné, également mytiliculteur sur l’île d’Oléron, nous parle de l’état alarmant de la mer et de l’alimentation dans l’eau : « nos moules meurent en restant dans leur milieu naturel, et « on ne peut pas les emmener ailleurs ». Le phytoplancton se fait rare (disparition à près de 40% depuis les années 1950), les moules maigrissent ; le dérèglement de la pluviométrie modifie considérablement la quantité et la qualité d’eau douce, menant à des phénomènes brutaux de dessalure ou au contraire, d’augmentation de la salinité. Dans le même temps, la quantité d’eau douce qui arrive en mer mène à un taux de toxicité plus élevé, avec une forte concentration des pesticides.
On assiste également à une accélération du rythme et de l’intensité des tempêtes centennales, qui de fait se produisent plus régulièrement que tous les 100 ans (ouragan Martin fin 1999, avec ses rafales à 198 km/h sur l’île d’Oléron, tempête Klaus en 2009, puis Xynthia en 2010). 2014 débuta avec 14 avis de tempêtes en Charente maritime entre janvier et février, soit une tempête tous les deux jours. De nombreux oiseaux sont morts d’épuisement, et nous avons perdu 98% de notre cheptel de moules (20% de la production française).
Face à ces bouleversements climatiques, il n’y a pas « d’assurance mer ». Celle-ci est indomptable. Il faudrait d’ailleurs penser à une sorte de sécurité sociale climatique.
Comme le rappelait Erik Kerneïs, le rôle que peuvent jouer les marais est primordial : ils absorbent les surplus d’eau, et constituent des réserves d’eau douce, alors même que l’on assiste à une salinisation progressive des eaux. L’île d’Oléron, par exemple, n’est pas autonome en eau douce.
Alors que le niveau de la mer et des océans monte, l’urbanisation est mal pensée, mal placée.
La question des pesticides est alarmante aussi. On observe encore des conséquences de l’atrazine, pourtant interdite depuis 2003. Qu’en sera-t-il du glyphosate ? Il faut anticiper les conséquences de ces produits. Les observations d’aujourd’hui sont liées aux actes d’il y a 15/20 ans.
Nous irons jusqu’au bout de l’Affaire du siècle. Les Etats doivent respecter leurs engagements.
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Pour terminer, Sophie Raspail nous parle du programme actuellement en cours, lancé par la Ligue pour la Protection des Oiseaux. Des terres et des ailes part du constat que les espèces d’oiseaux les plus éteintes sont celles des milieux agricoles. Les pesticides tuent les sols et les insectes, dont se nourrissent les oiseaux. La monoculture et l’urbanisation mènent à la raréfaction des habitats des oiseaux, et impactent fortement la biodiversité et l’écosystème.
Pollutions diverses, disparition, dégradation des milieux, urbanisation, appauvrissement des sols, homogénéisation des paysages, perte de l’habitat et de la nourriture : un tiers des oiseaux a disparu depuis 15 ans.
Nous devons à présent agir à grande échelle : accompagner les agriculteurs pour favoriser des aménagements favorables aux oiseaux. Le programme Des terres et des ailes propose différents aménagements à différentes espèces, pouvant servir « d’auxiliaire de culture ». N’hésitez pas à vous renseigner et à vous inscrire : https://www.lpo.fr/actualites/des-terres-et-des-ailes-reinstaurons-la-biodiversite-dans-nos-campagnes
Cette soirée, organisée dans le cadre d’un financement européen « La PAC: trait d’Union entre paysan.ne.s et citoyen.ne.s« , a été l’occasion de rappeler l’importance de la PAC comme moyen de survie aux paysans aujourd’hui. Le vrai problème est celui de la transcription française de la PAC, l’argent ayant bien été versé par l’Union Européenne, mais restant dans les caisses de l’Etat français au lieu d’atterrir sur le compte des paysans, qui vivent pour bon nombre d’entre eux dans des conditions extrêmement précaires. C’est pourquoi, la Confédération paysanne interpelle le ministre de l’agriculture.
Deux jours plus tard, la Confédération paysanne publie un communiqué : Retards PAC : le Ministère ouvre enfin les yeux sur les problèmes de trésorerie des paysan-ne-s !.
Comme quoi… On avance !