Pour une sécurité sociale de l’alimentation !

Retour sur les Journées d’été – 1er et 2 juin 2019 –

Campagne Décidons de notre alimentation !

 

En présence de :

– Jean-Claude Balbot, paysan et membre du Réseau CIVAM, référent du projet ACCESSIBLE

– Mathieu Dalmais, Ingénieurs sans frontières

– Laura Petersell, Réseau Salariat

– Kévin Certenais, Réseau Salariat

– Jean-François Périgné, paysan de la mer et trésorier de la Confédération paysanne

          

  Conférence gesticulée le samedi soir, table ronde et ateliers « Décidons de notre alimentation ! » le dimanche, ces Journées d’été ont réuni chaque jour une cinquantaine de personnes, dans la grande salle de la Confédération paysanne à Bagnolet, ou dans son jardin accueillant, à l’ombre des tilleuls, pour échanger sur la thématique qui nous occupait ce week-end : l’alimentation.

 

 

« Il n’y aura pas d’agriculture durable tant qu’il y aura des citoyens qui n’y accèdent pas.« 

 

Retour sur la table ronde du dimanche matin, que la conférence gesticulée de Mathieu Dalmais « De la fourche à la fourchette. Non ! L’inverse ! » avait déjà bien permis d’introduire la veille.

 

L’alimentation, nous dit Jean-Claude Balbot, éleveur dans le Finistère et membre du Réseau CIVAM, c’est la première variable d’ajustement des ménages en situation de précarité. L’alimentation est devenue un marqueur de classe. Pendant 37 ans, Jean-Claude a pratiqué la vente directe, et a pu constater que les personnes qui venaient acheter ses produits étaient toujours les mêmes. Où sont les autres ? Que mangent-elles ? Ont-elles le choix ?

 

C’est de ces questions qu’est né le projet ACCESSIBLE, issu de la volonté de plusieurs partenaires du développement agricole, du travail social, de la recherche et de la formation. En 2013, le réseau CIVAM répond à un appel d’offres du ministère de l’Agriculture, et lance ce travail de 3 ans autour de l’accès à l’alimentation, à la rencontre des producteurs, des paysans et des personnes isolées ou en situation de précarité. Des personnes qui, pour la plupart, n’ont plus d’autre choix que de se tourner vers l’aide alimentaire, un dispositif qui touche aujourd’hui 5 millions d’inscrits, parmi les 8 millions de pauvres et les 20 millions de personnes qui ne mangent pas ce qu’elles voudraient. Cette nourriture « déclassée », déclasse les populations pauvres et les paysans qui la produisent. Elle est le témoin d’une société qui va mal. Quand on fait une politique pour les pauvres, on fait aussi une politique pour les riches. Ce qu’il faut faire, c’est une politique pour tout le monde.

 

Le dispositif de l’aide alimentaire, créé à l’origine pour des situations d’urgence, arrange finalement bien les filières de l’agroalimentaire. Grâce à la Loi Garot de février 2016 contre le gaspillage alimentaire, qui impose aux supermarchés de plus de 400 mètres carrés de conclure une convention avec des associations pour leur faire don des invendus – dons qui bénéficient d’avantages fiscaux-, les grandes surfaces et les filières en amont ont un débouché garanti pour leurs surplus. Quel intérêt pourraient avoir ces grandes chaînes à vouloir changer de modèle ? Le cercle vertueux (des riches) est déjà là.

 

Pour Jean-François Périgné, mytiliculteur sur l’Ile d’Oléron et trésorier de la Confédération paysanne, il est clair que l’ambition affichée des Etats Généraux de l’alimentation, tenus fin 2017, de mettre un terme à la précarité alimentaire et d’assurer un revenu décent aux paysan.ne.s (un tiers gagne moins de 350 euros par mois) n’a pas abouti. En termes de sécurité alimentaire, nous sommes aussi encore loin du compte. L’approvisionnement alimentaire fonctionne à partir de plateformes logistiques. Comment fait-on si, à la suite d’un quelconque bug informatique, la nourriture n’arrive pas à Rungis ? Nous avons trois jours d’autonomie alimentaire à Paris.

 

Il nous faut donc réellement repenser notre production agricole via le prisme d’une souveraineté alimentaire qui permette d’assurer des revenus décents aux paysan.ne.s, tout en garantissant une alimentation de qualité à l’ensemble de la population. Certains agriculteurs n’oseraient même pas manger ce qu’ils produisent. Il ne s’agit pas là de leur jeter la pierre, puisque ce sont les politiques publiques successives et le dogme productiviste qui les ont poussés à entrer dans ce cercle vicieux. Mais il est à présent urgent de mettre en œuvre une transition agricole effective et un accompagnement de ces agriculteurs en « conventionnel » vers un autre modèle de production, d’autant que ce sont souvent eux les premières victimes de l’utilisation de pesticides. C’est l’agriculture bio qui devrait être « conventionnelle », plutôt que d’appeler « conventionnelle » une agriculture industrielle et délétère.

 

En attendant, du paysan mal rémunéré et isolé, au consommateur soumis au diktat de l’agroalimentaire, qui achète en grande surface parce qu’il n’arrive pas à boucler ses fins de mois ou doit se résoudre à se tourner vers l’aide alimentaire, nous avons deux mondes qui s’ignorent, et partagent pourtant, d’un bout à l’autre de la chaîne, le même désarroi et la pauvreté. Il nous faut sortir de ce cercle vicieux.

 

Le problème, c’est que l’on ne nous laissera pas faire. Nous avons donc besoin de quelque chose de profondément subversif, et en même temps, possible, car basé sur un déjà-là. C’est ce vers quoi nous emmènent Ingénieurs sans Frontières et le Réseau Salariat, qui travaillent depuis quelques temps à un dispositif qui permettrait d’assurer à toutes et tous, un accès à une alimentation saine et durable, tout en garantissant, à l’autre bout de la chaîne, un revenu décent aux paysan.ne.s produisant des aliments de qualité. Nous l’avons fait pour la santé, nous pouvons le faire pour l’alimentation ; mettons en place une sécurité sociale de l’alimentation !

 

Comme le rappellent Laura Petersell et Kevin Certenais du Réseau Salariat, nous ne partons pas de rien. Alors que la France était ruinée, au sortir de la guerre en 1945, nous avons pu mettre en place la sécurité sociale, une assurance maladie garantissant à tous l’accès à la santé, qui, malgré les efforts déployés pour la détricoter, est toujours debout. De la même manière, et dans le contexte qui nous est propre aujourd’hui, nous pourrions mettre en place une sécurité sociale de l’alimentation.

 

Comment ça marcherait ?

Sur notre carte vitale, on aurait, chaque mois, un budget de 150 euros sanctuarisé pour l’alimentation (ou plus en fonction du nombre d’enfants). Cette carte ne serait valable que dans des établissements conventionnés, dans lesquels seraient vendus des produits issus de l’agriculture paysanne, respectant un certain nombre de critères de qualité définis collectivement et démocratiquement. 150 euros par mois, cela correspond à une moyenne évaluée à partir du budget de la classe moyenne dédié à l’alimentation (entre 200 et 220 euros) et du budget moyen des personnes en situation de précarité, qui représente parfois moins de 100 euros par mois.

Comment le finance-t-on ?

Mathieu Dalmais, d’Ingénieurs sans frontières, expose plusieurs pistes de financement possibles.

Financer une sécurité sociale de l’alimentation représenterait un budget de 120 milliards d’euros par an, c’est-à-dire la moitié du budget de l’assurance maladie. On a créé la sécurité sociale de santé à un moment où la France était ruinée ; on peut décider aujourd’hui d’instaurer 8% de cotisation sur chacun des salaires super bruts (le salaire super brut = salaire net + cotisations salariales + cotisations patronales.).

 

Ce budget pourrait être alimenté par une cotisation sociale alimentaire, prélevée et redistribuée de façon analogue à celle de l’assurance maladie. A revenus mixtes et salaires constants, ces 150 € représenteraient en moyenne 12,6 % des revenus mixtes et salaires, là où la consommation de soins et de bien médicaux remboursés par la sécurité sociale représente 16,1 % des revenus mixtes et salaires.

 

Cet argent peut aussi être récupéré ailleurs : 120 milliards, cela correspond à un tiers des revenus de la finance qui sont exempts de toute cotisation. Les sources de financement sont à définir collectivement, mais nous partons d’un déjà-là, nous savons que c’est possible.

 

Décider de notre alimentation, c’est aussi imaginer des politiques publiques ambitieuses qui permettent à toutes et tous d’avoir accès à une alimentation saine et durable, tout en garantissant un revenu décent et la reconnaissance de leur travail à celles et ceux qui produisent notre alimentation.

 

Pour aller plus loin :

>> la proposition détaillée de la sécurité sociale de l’alimentation

>> la conférence gesticulée « De la fourche à la fourchette. Non, l’inverse ! », de Mathieu Dalmais

>> les premiers résultats et Actes du projet ACCESSIBLE

>> le compte-rendu d’une journée d’échange organisée par Réseau Salariat autour de la thématique

>> Inscrivez-vous à la newsletter consacrée à la sécurité sociale de l’alimentation

 

Dans le cadre de la campagne « Décidons de notre alimentation ! », les Ami.e.s de la Conf’ publieront prochainement un kit de mobilisation, pour que citoyens et citoyennes puissent plus facilement s’emparer de la question alimentaire, notamment en vue des élections municipales de 2020.